Organisé autour de « Saturation interne » de Sanae Ishida, commandé en 2018 par le Ministère de la culture, ce programme débute avec une musique écrite près de 330 ans auparavant : deux des 7 Ricercari de Domenico Gabrielli écrits en 1689 et considérés comme les premières pièces pour violoncelle seul. Leur élégance fantaisiste évoque une ligne de basse qui se serait échappée de son contrepoint pour explorer toute seule notre perception, belle métaphore de l’émancipation historique de l’instrument.
Le programme se poursuit en alternant des musiques d’écriture stricte contrapunctique-harmonique et des musiques très différentes, nées d’une observation intime du son et du temps.
La pièce « Tonada de San Pablo » de Pierre Strauch, dédiée à la violoncelliste péruvienne Gisella Plaza, est une suite de variations et d’interludes autour du nom de la dédicatoire, celui-ci étant traité en augmentations, diminutions, superpositions de la valeur rythmique des lettres de l’alphabet morse qui lui correspondent.
« Adiantum Capillus-Veneris » (Nattes de femme 1) de Chaya Czernowin, oeuvre vocale à l’origine, remarquablement transcrite par Séverine Ballon, en évitant toute imitation vaine de la voix et en nous emmenant plutôt vers l’introspection du souffle, du grain de son, à l’origine même de l’expression musicale.
Le célèbre pianiste Artur Schnabel était aussi un remarquable compositeur. En témoignent entre autres un trio à cordes, deux quatuors à cordes et cette belle Sonate en quatre mouvements qui complète avec bonheur le répertoire solo assez pauvre, exceptés Kodaly et Hindemith, de la première moitié du vingtième siècle. Partenaire fréquent de Schnabel, Gregor Piatigorsky mentionne l’oeuvre dans son autobiographie.
« Saturation interne » de Sanae Ishida explore la conjonction et la fusion de la voix de l’interprète et du violoncelle. Ce dernier est traité en frottements, frôlements, glissements, tapotements variés et poétiques qui créent un rituel subtil toujours contrôlé et élégant, et ceci dans une approche sensible et jamais conventionnelle du jeu instrumental.
Le titre du morceau « Wie ein Toter » (2016) de Jean-Pascal Chaigne vient d’une réflexion de Franz Kafka sur la nécessité pour l’écrivain de s’isoler et de s’enfermer pour écrire, emmuré « comme un mort ».
La dédicace à Pierre Strauch est concrétisée, en un clin d’oeil amical, par sept signaux morse des sept lettres de son patronyme. L’oeuvre est structurée par l’interaction de trois caractères différents associés à trois tempos métonymiques. Ces trois états alternent et s’influencent subtilement en un récit captivant dont la perception retient surtout le déroulement continu, presque implacable, et la cohérence organique.
Programme :
1 Domenico Gabrielli : Ricercari 5 et 4 (1689) – 5 min.
2 Pierre Strauch : Tonada de San Pablo (1997) – 8 min.
3 Chaya Czernowin : Adiantum Capillus Veneris (2015) en version vlc., de Séverine Ballon – 11 min.
4 Artur Schnabel (1882- 1951): Sonata – 13 min.
5 Sanae Ishida : Saturation interne (2018) – 12 min.
6 Jean-Pascal Chaigne: Wie ein Toter (2016) – 13 min.
Durée : 1h15
Pierre Strauch, né en 1958, effectue ses études musicales à Strasbourg avec notamment Jean Deplace pour le violoncelle et René Schmitt pour l’analyse musicale. Lauréat du premier concours Rostropovitch à La Rochelle en 1977, il est membre depuis 1978 de l’Ensemble intercontemporain fondé par Pierre Boulez. Il effectue de nombreuses créations et se consacre également à la pédagogie, à la direction d’orchestre et à la composition. Ses œuvres comprennent des solos pour divers instruments, des pièces de musique de chambre, des pièces d’ensemble et des œuvres vocales.
Entrée libre et gratuite dans la limite des places disponibles.